Anatomie d'une Chute

Ou les félures d'un couple en crise.

La bande originale

La musique occupe une place importante dans ce film, où des airs célèbres d'Albeniz et de Chopin s'opposent aux tambours d’aciers caribéens du rappeur 50 cent. Si vous avez eu la bonne idée d’aller voir Anatomie d’une Chute, alors il y a fort à parier que cette musique au rythme chaloupée est un véritable traumatisme. Car derrière cette boucle instrumentale où jadis, à l’aube des années 2000, le rappeur américain 50 cent chantait P.I.M.P (l’un de ses plus grands tubes) un véritable drame se joue. Dans le film, la musique assourdissante qui passe en boucle dans le grenier d’une maison cache l’essentiel, le nœud de l’intrigue d’Anatomie d’une Chute. Elle est le voile souriant d’une tragédie humaine, à savoir la chute d’un corps qui risque d’entraîner avec elle toute une famille à savoir celle d’une mère et son fils. Quand le père qui a mis cette musique au grenier tombe d’une fenêtre laissée ouverte, est-ce un accident, un suicide ou bien un meurtre ? Il s’agira de suivre l’enquête de cette mort troublante, lors d’un procès spectaculaire de réalisme de dégager le vrai du faux, de décortiquer finalement "l’anatomie d’une chute".

Dans cette famille marquée par le deuil, la chute mortelle et énigmatique du père, il y a Daniel, son fils. Un petit garçon de onze ans extrêmement précoce doté d’une oreille très développée depuis qu’il a perdu la vue dans un accident et qu’il pratique depuis quelques années le piano. A plusieurs moments du film, cet enfant solitaire semble chercher des réponses insolubles dans le travail laborieux de deux pièces pour piano. On chemine tout d’abord avec lui dans la partition d’Asturias, cette tempête musicale et implacable composée à la fin du 19e siècle par l’espagnol Isaac Albeniz.

A côté de cette colère, de cette rage de Daniel exprimée par les notes d’Albéniz, Justine Triet a demandé à l’acteur qui joue le rôle du petit garçon, d’interpréter à l’écran, sur le piano droit de la maison, une autre pièce classique, au caractère bien différent. Il s’agit de ce Prélude op.28 n°4 en mi mineur de Frédéric Chopin.

Il y a dans cet air de désolation quelque chose d’une marche funèbre. Par-dessus des accords qui sombrent petit à petit dans les graves, on peut entendre une mélodie ambivalente. En effet, les premières notes du thème si-do-si sonnent comme un glas lugubre mais aussi comme une source d’espoir car ces notes répétées semblent résister à la chute inexorable des accords, qui glissent de demi-tons en demi-tons. Dans Anatomie d’une Chute, ce prélude est présenté de plusieurs manières. On avance dans le film comme Daniel dans la partition. Et lorsque le fils et la mère le jouent ensemble dans une très belle scène pleine de symbole, on ne peut s’empêcher de penser que ce prélude de Chopin, l’un des compositeurs favoris de Justine Triet, et que l'on entendait déjà dans La Bataille de Solférino, incarne peut-être la longue descente aux enfers de cette famille, le tourbillon judiciaire, la dureté du deuil mais aussi, pourquoi pas, l’espoir d’un retour à la vie.

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